Le mal-logement en France : une cause majeure de l’isolement social
Trêve hivernale, crise du logement : pourquoi les collectifs appellent à manifester ?
Selon le dernier rapport de la Fondation pour le Logement des Défavorisés, 2023 est une année noire pour les mal logés. Car malgré un niveau record de places d’hébergement, dans le parc généraliste ou dans les dispositifs nationaux d’accueil, le 115 n’a jamais été aussi engorgé.
Dans ce contexte, le 29 mars 2025 a eu lieu une manifestation pour protester contre le mal logement en France, alors que la trêve hivernale touche à sa fin à l’arrivée du printemps, le 31 mars. L’appel de l’inter collectifs logement dénonce des politiques publiques toujours plus dures en matière d’aide et d’accès au logement en France.
Cette question est centrale au sein d’Entourage et particulièrement pour le Comité de la rue, composé de personnes directement concernées par l’action de notre association qui co-construit et valide les projets structurants de l’association. En étant à la fois un comité d’expertise et d’éthique, le comité de la rue permet à l’association de prendre des décisions éclairées et d’améliorer son impact social.
Nous comprenons donc chez Entourage, l’importance d’un logement décent pour pouvoir par la suite créer du lien social et prendre pleinement part à la vie citoyenne. Cet appel à manifester est donc l’occasion de revenir sur certaines notions, parfois floues, et de se demander quelles sont les problématiques liées au mal logement en France et quelles en sont les solutions.
Sans-abri, sans domicile, mal logé : quelles différences ?
Il peut être facile de se perdre dans les diverses notions qui englobent les problématiques liées au logement.
Pour l’INSEE, une personne est sans abri quand elle ne dispose d’aucun lieu couvert pour se protéger des intempéries et dort à l’extérieur (rue, jardin public, etc) ou bien dans un lieu non prévu pour l’habitation (métro, parking, tente, gare, etc). Leur nombre est très dur à estimer, faute d’enquêtes, du fait de la complexité d’atteindre ce public, etc.
Une personne est sans domicile fixe (SDF) quand elle passe ses nuits dans un lieu non prévu pour l’habitation ou dans un service d’hébergement (hôtel ou logement payé par une association, chambre ou dortoir dans un hébergement collectif, lieu ouvert exceptionnellement en cas de grand froid, etc). Ici et chez Entourage, nous préférerons le terme emprunté à nos voisins belges, celui de “sans-chez-soi”.
La notion de sans-chez-soi englobe celle de sans-abris mais l’inverse n’est pas vrai.
Le mal logement est un néologisme instauré par la Fondation pour le Logement des Défavorisés et désigne un phénomène social massif qui s’appuie sur deux critères : les caractéristiques techniques du logement (difficulté à chauffer, logement trop humide, trop bruyant, trop petit, absence de toilettes, etc) et le statut juridique de l’habitant (personnes hébergées chez des proches, sans-abris). Est mal logée, une personne qui ne maîtrise pas la durée de son hébergement. Pareil, la notion de mal logement regroupe les personnes sans-abris ou sans-chez-soi mais l’inverse n’est pas vrai.

Mal logement : les chiffres alarmants en France
Plusieurs études et enquêtes se sont attelées au dénombrement des personnes mal logées en France, mais ces chiffres sont à prendre avec du recul du fait de la complexité d’aller chercher et trouver des personnes qui se sentent stigmatisées et auront donc tendance à se cacher.
Cependant, nous recensons en France, en 2024, 40 000 sans-abris et 330 000 sans domicile fixe. En 2013, étude la plus récente sur le mal logement, les personnes vivant chez des tiers étaient environ 590 000. Ces chiffres donnent froid dans le dos et sont pourtant une sous estimation de la réalité. Ils nous montrent néanmoins l’importance de s’emparer du sujet.
C’est justement dans cette dynamique que s’inscrit l’action d’Entourage : nous agissons concrètement pour améliorer les conditions de vie des personnes en grande précarité en combattant l’isolement social. Grâce à notre application, aux communautés locales et à l’engagement citoyen, Entourage permet à des personnes en situation de précarité de créer des moments de convivialité et de solidarité, de tisser des liens, d’accéder à de l’information, de retrouver de la dignité, un emploi et parfois même de sortir de l’isolement qui freine l’accès aux droits, y compris au logement.
Quelles sont les vraies causes du mal logement en France ?
Les causes du mal logement sont multiples et s’additionnent souvent.
La société civile considère souvent que les actions gouvernementales en matière de lutte contre le mal logement sont insuffisantes. La construction de nouveaux logements sociaux et/ou étudiants n’est pas considérée comme suffisante, les lois sur l’encadrement des loyers et sur la régulation des plateformes de location comme Airbnb restent encore largement non appliquées et remises en question par les propriétaires. Les coupes budgétaires menées sur les Aides Personnelles au Logement (APL) ainsi que les changements climatiques - à l’origine d’une réelle précarité énergétique - sont d’autres causes du mal logement.
A cela s'ajoutent d’autres aspects qui accroissent le mal logement. La Fondation pour le Logement des Défavorisés, par exemple, considère que le Plan logement est marqué par son absence de prise en compte des personnes dites « à droits incomplets » ou « en attente de régularisation », qui seraient entre 600 000 et 800 000. Du fait de leur statut, ces personnes sont privées des prestations sociales et interdites d’accès aux logements sociaux. Cette situation les renvoie à des solutions informelles pour trouver un toit ou un emploi, mais une grande partie de cette population se retrouve finalement sans solution de logement ni même d’hébergement. Il va sans dire qu’il faut d’abord se sentir en sécurité pour pouvoir entretenir du lien social par la suite.
Lien social et mal logement : un cercle vicieux à briser
Entourage vise à recréer du lien social avec les personnes en précarité isolées dans une dynamique horizontale, de “faire avec” et non “faire pour”. Pour ce faire, il est nécessaire de comprendre l’entièreté des facteurs qui poussent à l’isolement.
Le mal logement en fait partie. En effet, Pascale Dietrich-Ragon, sociologue et chercheuse associée à l'Équipe de recherche sur les inégalités sociale montre que si les personnes les plus en difficulté au regard de leur logement souffrent de façon générale d’un faible soutien relationnel, l’entourage est d’autant plus fragilisé par la précarité de leur situation résidentielle.
Combattre la honte
Il paraît difficile d’inviter des amis lorsque nous n’avons pas de “chez soi”. Cela s’explique aussi par le fait que parmi les personnes ayant un logement insalubre, surpeuplé, trop petit, etc., nombre d’entre elles ressentent un sentiment de honte à l’idée de montrer leur logement et se résignent à ne plus recevoir chez elles. En ce sens, le mal logement joue un rôle direct sur l’isolement social et relationnel.
Hébergement d’urgence : des règles qui renforcent parfois l’exclusion
Les hébergements d’accueil et autres structures d’urgence sont d’une utilité reconnue par tous et toutes. Seulement certaines règles encadrant les pratiques au sein de ces solutions sont parfois elles-mêmes excluantes. Par exemple, l’offre spécifique jeunes comme les résidences étudiantes, interdisent pour la plupart d’entre elles, l’accueil de proches, ce qui rend impossible le lien social.
De même pour les structures d'hébergement qui sont nombreuses à refuser les visites de proches ainsi que les retours en soirée après une heure donnée, ce qui rend impossible certains moments nécessaires de sociabilité.
Enfin, ces structures sont aussi majoritaires à interdire l’accès aux animaux de compagnies, alors que leur rôle dans la lutte contre l’isolement social et particulièrement pour les publics ayant connu la rue, est majeur. Il est important de comprendre les enjeux autour du mal logement et de l'isolement social afin de ne pas placer des publics fragilisés en situation de vulnérabilité supplémentaire.
La mobilité imposée : un facteur méconnu de l’isolement social
Par les opérations de mise à l’abri, les autorités françaises imposent une mobilité qui renforce l’isolement social. L’évacuation des personnes sans abris d’Ile de France vers d’autres villes en France contribue à éloigner les personnes isolées de leur entourage. De fait, le maintien des liens avec l’entourage est moins pris en compte pour les personnes mal logées et plus particulièrement pour les sans-abris considérant que s’il n’y a pas de ménage, il n’y a pas de frein à la mobilité.
Cette mobilité imposée joue un rôle dans la perte de repères géographiques (commerces fréquentés, professionnels de la santé du quartier, etc), pourtant essentiels pour les personnes isolées. Finalement, la mise à l’abri est uniquement basée sur des critères physiques, et ne prend jamais en compte les critères sociaux, relationnels, subjectifs et propres à chaque histoire et à chaque personne pourtant important à notre bien-être.
Pourquoi lutter contre le mal logement, c’est aussi lutter contre l’exclusion sociale
Finalement, 2024 a été une année rude pour le logement en France. La société civile s'alarme tant sur les conditions de vie qui se dégradent dans des habitations “taudis”, que sur le nombre de personnes n’ayant tout simplement pas de toit.
Le lien social est un besoin vital pour les humains qui doivent pouvoir être entourés pour évoluer et s’épanouir. Si les facteurs de l’isolement social sont multiples, le mal logement en fait définitivement partie notamment en restreignant les possibilités de contacts des personnes qui en sont victimes avec leur entourage. Réciproquement, l’isolement social renforce aussi le mal logement. Les personnes isolées auront tendance à moins faire valoir leurs droits et se retrouvent seules face aux difficultés financières ou des problèmes liés à leur logement.
Si à Entourage nous ne fournissons pas de logement en tant que tel, nous œuvrons activement à rompre l’isolement social qui est à la fois cause et conséquence du mal logement.
À travers notre application mobile, nous permettons aux personnes sans domicile ou en situation de grande précarité de se reconnecter à leur entourage, à des voisins solidaires, à des citoyens engagés. Cela favorise l’accès à l’information, à des ressources concrètes, à une écoute bienveillante — autant de leviers pour retrouver confiance, faire valoir ses droits ou simplement ne plus être seul face aux galères.